Le débat sur les sports électroniques, et après ?
Vers une analyse des liens entre les mondes des sports et des jeux vidéo
Retrouvez l’intégralité de l’appel à communications ici
Résumé
Organisée par l’AREFE (Association pour la Recherche et les Études Francophones sur l’Esport), cette journée d’étude interdisciplinaire propose d’interroger les liens entre les mondes sportifs et du jeu vidéo (compétitif). Depuis l’émergence des premiers circuits de tournois professionnels de jeux vidéo dans les années 1990 aux championnats internationaux récents, les études ont mis en évidence de nombreux liens entre sports et sports électroniques. Mais ces relations font aussi l’objet de questionnements, voire de contestations. Loin de participer à un débat déjà largement traité publiquement ou dans la littérature scientifique (« l’esport est-il un sport ? » se demande-t-on souvent), cette journée interroge les différents enjeux liés à ces rapprochements, les intérêts et les limites que peut présenter le modèle sportif pour les sports électroniques et ses différents acteurs et actrices (et inversement), ou encore les implications théoriques et méthodologiques pour les chercheurs et chercheuses.
Argumentaire
De plus en plus médiatisés, les sports électroniques connaissent une croissance marquée depuis les années 2010. Il s’agirait, pour ses promoteurs et ses promotrices, du “sport du futur » ou d’une « industrie croissante ». Ces pratiques compétitives de jeux vidéo, réglées et réglementées par des organisations, privées ou associatives, apparaissent à la fin des années 1990. Borowy et Jin (2013) notent ainsi la différence fondamentale entre les compétitions promotionnelles de la période de « l’âge d’or de l’arcade », organisées par les éditeurs eux-mêmes, et ces initiatives naissantes autour de 2000 qui sont organisées par des tiers (associations, entreprises, start-up). À partir de 2010, profitant d’un effet de diffusion accru sur les plateformes de streaming et de VOD en ligne, et par la reprise de l’organisation des tournois par les éditeurs (Riot, Blizzard), les sports électroniques gagnent en visibilité en dehors du monde des jeux vidéo et de leurs pratiquantes et pratiquants. Or, en sortant du cercle des initiés, l’appellation même de « sport » est souvent remise en question par différents acteurs et actrices, qui peuvent tantôt le critiquer ou tantôt souligner l’attractivité de ce secteur. Ce débat de la « sportivité » du jeu vidéo n’est en réalité pas nouveau : en effet, Philippe Mora (2003 ; 2005) montrait déjà que cette question divisait les pratiquantes et pratiquants lors des premiers événements. Malgré un débat qui se réifie dans le temps, et qui trouve de nouveaux contradicteurs, les acteurs et actrices du monde du sport et des jeux vidéo semblent se rapprocher depuis quelques années, outrepassant de fait, la reconnaissance des jeux vidéo comme un sport par les autorités sportives (Schwartz, 2017 ; Lefebvre & Besombes, 2021).
Dans ce contexte, de nombreuses recherches sur les sports électroniques ont été menées depuis 2010. Après avoir intéressé les sciences de l’information et de la communication dans la décennie précédente, ce sont les sciences du sport et de gestion qui se sont emparées de ce terrain d’étude. Dans ce développement d’études pluridisciplinaires, les sports électroniques ont d’abord été abordés dans leur comparaison directe avec les sports modernes ou traditionnels, dressant ainsi la liste des arguments en faveur de la sportivité des jeux vidéo ou différenciant ces pratiques compétitives. Faisant le choix arbitraire d’une définition du sport basée bien souvent sur l’activité physique ou la reconnaissance institutionnelle, bon nombre de ces études contribue uniquement au débat public sur la reconnaissance sportive des jeux vidéo, auquel elles tentent de répondre au prisme de quelques indices factuels et organisationnels. Cherchant à éviter ce débat ou en complément, d’autres travaux prennent le parti de définir l’esport indépendamment du sport, initiant ainsi, par la mise en avant d’une singularité et individualité de la pratique compétitive des jeux vidéo, un « champ d’étude » à part entière (Pizzo et al., 2022).
Or, définir la qualité sportive d’une activité est arbitraire, car celle-ci peut évoluer en fonction des contextes, des acteurs/actrices et des critères sur lesquelles les autorités proclament ce qui est “sport” ou non. Ainsi, les études précédentes ne peuvent prétendre à décrire concrètement les processus à l’œuvre dans la sportification des jeux vidéo, ou encore les relations réelles entre monde du sport et du jeu vidéo.
Par conséquent, cette journée d’étude a pour principal objectif d’interroger les sports électroniques et leurs liens avec le(s) sport(s). Que ce soit dans les intérêts d’acteurs et actrices du monde sportif ou des jeux vidéo, en quoi les références au sport posent-elles question ? Comment, en tant que chercheurs et chercheuses, pouvons-nous interpréter ces phénomènes ? De quelles manières mobilise-t-on les cadres théoriques ou méthodologiques des sports dans les recherches sur les jeux vidéo ? Et quels sont-ils ? Qu’apporte l’étude de ces relations aux différentes disciplines scientifiques ? Plus concrètement, quelles sont les implications et les conséquences pour les acteurs et les actrices du monde sportif et/ou esportif ?
Loin de participer au débat sur la qualification des jeux vidéo comme sport, cet appel à communication invite l’ensemble des chercheurs et des chercheuses de différentes disciplines scientifiques, et de tout statut, à présenter des travaux qui répondent à ces questions. Dans cette perspective, nous accueillerons également des recherches qui feront place aux limites et aux critiques de la mobilisation « sportive » dans les sports électroniques, que ce soit de façon théorique, méthodologique ou pratique. Pour ce faire, nous proposons trois axes thématiques (non exhaustifs).
Axes thématiques
1) Les relations entre monde du sport et monde des sports électroniques
Cet axe interroge les multiples relations qui, depuis l’émergence des compétitions de jeux vidéo, se tissent entre le monde du sport électronique et le monde du sport. D’une part, on peut observer de nombreux acteurs et actrices : acteurs institutionnels (CIO, CNOSF, etc.), sponsors, clubs et médias sportifs, personnalités sportives, professionnels et professionnelles encadrant des compétiteurs/compétitrices (manager, coach), formateurs et formatrices et chercheurs/chercheuses. Quels sont les intérêts de ces relations tissées pour et entre ces deux mondes ? À titre d’exemples, l’intégration de rubriques liées à l’esport pour certains médias sportifs traditionnels comme le journal L’Équipe a permis de toucher une nouvelle audience. D’autre part, se rapprocher de sports reconnus et valorisés socialement semble être un moyen pour les acteurs et actrices esportives d’obtenir à leur tour une certaine reconnaissance et légitimité. Ces nouvelles relations entre sport et sport électronique invitent alors à regarder aussi du côté des fans et des pratiquants qui parfois s’y opposent. Quand certains fans de sports craignent la digitalisation des sports, certains fans de sports électroniques redoutent les récupérations et les transformations de l’esport et de ses valeurs par le système sportif traditionnel. Ainsi, quels enjeux, économiques, identitaires, idéologiques, politiques, sociaux ou encore symboliques peut-on mettre au jour au travers de ces relations ? Comment ces liens mettent en question ce qu’est le sport et/ou ce qu’est le sport électronique ? Quels discours les accompagnent ? Et par conséquent, comment les références au sport sont-elles mobilisées par les gestionnaires des sports électroniques pour s’en approcher ou s’en distancier ? En outre, comment ces relations et leurs enjeux évoluent-ils ces dernières années, amplifiés lors des confinements de 2020 à 2021 ?
2) Cadres et références sportives : intérêts, apports et limites
Le sport est un phénomène davantage ancien que le sport électronique, dont la structure et les cadres peuvent inspirer divers acteurs et actrices esportives, qui en font eux-mêmes références. Ce second axe propose de questionner l’utilisation de ces cadres pour le sport électronique, et inversement. À titre d’exemples, les sports électroniques ont subi de nombreuses transformations ces dernières années qui ont permis de préciser aussi bien les besoins législatifs ou juridiques, que les méthodes d’entraînement et d’optimisation de la performance, inspirés des méthodes usées dans les sports. Dans cette perspective, les différentes stratégies de financements par sponsors sont aussi bien utilisées dans les deux espaces. Ainsi, quels intérêts peut présenter le modèle sportif pour le cadre juridique, pour les acteurs et actrices de la performance, pour les organisations ou encore pour les médias et le spectacle du sport électronique ? Comment les cadres sportifs sont-ils des ressources pour les acteurs et actrices des sports électroniques ? Quelles sont ses limites appliquées aux sports électroniques et à leurs pratiquants ? En effet, n’y a-t-il pas le risque de plaquer des cadres réducteurs qui ne tiendraient pas compte des spécificités « électroniques » de ce sport (Pizzo et al., 2022) ?
Si en de nombreux points les sports électroniques semblent s’inspirer des cadres sportifs, force est de constater que les promoteurs et les tenants d’équipes esportives se distinguent d’une organisation en “fédération”. Ainsi, de l’association du coin à l’équipe internationale, tous semblent se structurer autour des mêmes figures (président, community manager, coach, manageur et manageuse, compétiteur et compétitrice). Ainsi, ces modèles organisationnels semblent davantage s’inspirer de l’entreprise que des sports : comment se négocient ces organisations ? Dans quelles mesures sont-elles pérennes ? Que change l’intervention d’anciens acteurs et actrices sportives au sein d’équipes de sports électroniques ?
3) Pluralité des approches théoriques et méthodologiques dans les études sur les sports de jeux vidéo
À l’aune des approches des sciences humaines et sociales, nous proposons de nous intéresser plus précisément aux processus de sportivisation des activités (Elias & Dunning, 1998). Si certaines recherches ont permis de catégoriser et définir les sports électroniques, la question vaut la peine d’être reformulée : en quoi les sports électroniques suivent-ils ou non un processus de sportivisation différents d’autres activités ? De quelles manières la légitimité sportive ou mercantile se construisent-elles avec ou en dépit des institutions sportives et/ou de l’industrie (vidéoludique) ? Nous proposons ici non seulement d’interroger les cadres théoriques à l’épreuve des sports de jeux vidéo, mais aussi les méthodes d’enquêtes.
De fait, nous invitons les chercheurs et les chercheuses à développer de manière réflexive les tensions que le concept de sport semble faire face avec ce phénomène dans leur recherche (problème de terrain ou de mobilisation de la littérature). Comment refaire sens de la notion de sport avec et par les jeux vidéo ? À quel moment d’une recherche prenons-nous des distances avec les notions ordinaires ou les concepts établis dans les sciences du sport ?
Par son appropriation plurielle dans le monde universitaire, en quoi un sujet tel que les sports électroniques invite les chercheurs et chercheuses à l’interdisciplinarité ? Quels en sont les apports ou les limites d’un tel travail de mise en relation ? Quels en sont les possibles apports et limites ? Comment se fait-il concrètement (individuellement ou collectivement) ?
Proposition
Merci d’envoyer vos propositions de communication (titre, cinq mots clés et un résumé d’environ une page) ainsi qu’une courte biographie des auteurs et autrices au plus tard le 04 novembre 2022.
S’inscrivant dans au moins un des axes décrits ci-dessus, les propositions devront décrire la problématique traitée, les méthodes utilisées, les cadres théoriques mobilisés et feront clairement apparaître les résultats.
Chaque communication se présente dans le format suivant : 20 minutes de présentation suivies de 10 minutes de questions.
Toutes les propositions sont à envoyer à l’adresse suivante : arefe.esport@gmail.com
Calendrier
Date limite de réception des propositions : 04 novembre 2022
Annonce des propositions retenues : 16 décembre 2022
Dates de la journée d’étude : 23 et 24 mars 2023
Lieu : Centre des colloques, Campus Condorcet, Aubervilliers
Comité scientifique
Fanny Barnabé, Enseignante-chercheuse, EPITECH
Vincent Berry, Maître de Conférences, Université Sorbonne Paris Nord
Nicolas Besombes, Maître de Conférences, Université de Paris
Renaud Garcia-Bardidia, Professeur des Universités, Université de Bourgogne
Tristan Martin, Maître de Conférences, Le Mans Université
Frédérique Roux, Professeure des Universités, Université Rennes 2
Comité d’organisation
Jason Delestre, Doctorant, URePSSS, Université de Lille
Samuel Vansyngel, Doctorant, Experice et LabEx ICCA, Université Sorbonne Paris Nord
Nicolas Voisin, Doctorant contractuel, C3S, Université de Franche-Comté